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Notre manifeste

Nous sortir de la Muse, de l’inspiration. Ne plus être passif·ve, ni en attente. Ne plus sourire lascivement, ne plus être l’objet de la passion, le sujet du désespoir. Quitter le mutisme statuaire et oublier l’ombre de l’artiste cismasculin. Ne plus être « la·e partenaire de Monsieur ». S’autonomiser, ne plus dépendre. Lutter contre l’hégémonie cismasculine dans l’art, toujours présente. S’émanciper du male gaze [1] et défendre un regard féminin, queer [2], féministe, positif, inspirant.    

        

Polysème Magazine est né du constat frappant que l’art reste dominé par une majorité masculine, cisgenre, hétérosexuelle, blanche, valide, économiquement favorisée. Les musées regorgent de peintres et de photographes hommes, et de muses et de modèles femmes. La binarité et le sexisme qu’impose le patriarcat ainsi que les biais inévitables des revues, maisons d’édition, galeries, ont soulevé chez nous un désir de contrevenir à l’ordre établi. Nous avons cherché à visibiliser des populations sous-représentées, limitées à des rôles codés et prédéfinis. Nous voulons la fin du male gaze et des représentations réificatrices et diminuantes des femmes cis et personnes trans dans l’art. Nous voulons l’égalité dans l’écriture, dans la publication et dans les financements. Nous voulons l’équité dans l’exposition et la publicité. Nous voulons des galeries mixtes et riches de pluralité. Nous voulons la fin de la domination cismasculine dans la quasi-totalité des espaces artistiques. Nous sommes convaincues que l’art est politique et que le geste de la création ne peut être privé de revendication. En ce sens, nous avons créé Polysème Magazine pour mettre en évidence la pluralité déjà existante d’ artistes femmes, hommes trans et personnes non-binaires qui peuplent les interstices et les marges ; qui s’ exposent dans les lieux clos et restreints, qui écrivent en ligne et sur les murs à défaut de jouir de papier et de visibilité. 

 

Pour mener à bien ce projet, nous avons adopté une mixité choisie : Polysème Magazine est un espace d’expression réservé aux femmes, aux hommes trans et aux personnes non-binaires. Ce sont les faits que nous avons évoqués qui justifient ce choix : il s’ agit de l’un des rares lieux en mixité choisie, permettant aux personnes concernées par les oppressions cispatriarcales de bénéficier d’un espace le plus safe [3] possible et non excluant, sans craindre de réactions malvenues ou d’oppression. Bien entendu, la consultation, le partage et la réception de Polysème Magazine s’adressent à tou·te·s sans condition de genre : soyez allié·e·s, diffusez ! Des questionnements se sont présentés à nous : nos critères sont-ils excluants ? Oui, en un sens. Nous avons conscience qu’une sélection artistique implique toujours une exclusion.

 

Nous choisissons les œuvres à la fois avec un regard esthétique pointu, et une sensibilité et empathie fortes. En outre, un thème a suscité de nombreux questionnements, entre nous et de la part de nos abonné·e·s, de notre entourage. Nous avons pris le parti de privilégier la photographie argentique et les procédés photographiques anciens. Ce sont des médiums qui nous tiennent à cœur, dont les pratiques méritent d’être mises en lumières. L’argentique est souvent réduit à son grain, oubliant alors tous les procédés ludiques et créatifs qu’il permet. Par ailleurs, ces pratiques sont encore très peu représentées dans la presse française, souvent réservées à des magazines très pointus ; il nous semblait intéressant de de les valoriser dans un espace inhabituel : en dehors de la presse papier et web dédiée uniquement à la photographie.

 

De la même manière, nous ne voulions pas produire un énième magazine qui ne serait pas à la convergence des luttes. Nos multiples oppressions, origines et appartenances ainsi que nos convictions politiques et nos engagements militants et personnels nous ont mobilisées à produire un contenu le plus représentatif possible de la diversité des individu·e·s. Bien qu’imparfaite, notre démarche est sincère et Polysème Magazine mettra toujours tout en œuvre pour visibiliser tou·te·s celleux qui souffrent de discriminations et d’oppressions. Par souci d’équité envers le lectorat français dépourvu de revue francophone de ce type, nous avons décidé de faire traduire toutes les propositions en langue étrangère, afin de ne pas entraver l’accessibilité du magazine par la barrière de la langue. Dans cette même volonté, nous refusons que Polysème Magazine ne soit accessible qu’à une frange économiquement favorisée de la population : c’est pourquoi nous mettrons à disposition de chacun·e une version numérique à bas prix. 

 

Enfin, Polysème Magazine revendique une sororité active et plurielle. Nous ne l’avons pas seulement conçu comme une plateforme de partage, de visibilité ni comme une galerie d’ exposition mais aussi comme un réseau d’artistes, d’auteurs·rices, de créateurs·rices, de professionnel·le·s, militant·e·s ou déconstruit·e·s afin de promouvoir la coopération, la cooptation et la confiance entre personnes concernées par des oppressions similaires ou croisées. Nous savons déjà que des projets entre certain·e·s pourraient voir le jour : nous en sommes heureuses.

 

Au sujet du concept de "Sororité"

 

Nous réfléchissons beaucoup aux implications de ce terme dans notre propos. Nous ne sommes pas sans savoir qu’il est bien souvent pris au pied de la lettre par une catégorie de féministes transphobes, souvent qualifiées de « TERF » (trans exclusionary radical feminist). Nous savons également qu’il s’est parfois inscrit dans une pratique étroite du féminisme, que nous ne validons pas : celle d’un féminisme blanc et occidental, bourgeois, en décalage complet des besoins et revendications des personnes non blanches et / ou précaires. Nous revendiquons la réappropriation d’un terme qui doit jouir, à nos yeux, d’une volonté d’établir envers la domination masculine et la fraternité obscène dont font preuve les hommes cisgenres un barrage. Face à leur fraternité dans la protection des agresseurs, pratiquons la sororité. Face à leur fraternité dans la conservation des privilèges, pratiquons la sororité. Face à leur fraternité dans l’abnégation de nos droits, pratiquons la sororité. Face à leur fraternité dans le piétinement de nos mots, pratiquons la sororité. Face à leur fraternité dans le meurtre, le viol, le vol, la dépossession, la destruction, la condamnation, la privation mais aussi dans l'obscénité, dans la violence, dans le déni de nos personnes : pratiquons la sororité.

Nous considérons la sororité comme l’alliance de toutes les femmes, de toutes les personnes trans, binaires ou non binaires, contre le cispatriarcat. Nous revendiquons une sororité plurielle, mixte, active et performative. Ainsi, la sororité dont nous nous revendiquons n’est pas une sororité restreinte au confort économique des femmes blanches et aisées. Nous ne nous reconnaissons pas dans une sororité transphobe et essentialiste, ni dans une sororité blanche qui oublie, voire piétine les droits et besoins de nos sœurs racisées. Nous décrions une sororité contre les travailleuses du sexe. Nous nous positionnons contre une sororité validiste qui oublie les difficultés quotidiennes de certaines des leurs, les discriminations qu’elles subissent et l’institutionnalisation de leur marginalisation.   Nous revendiquons une sororité exemplaire et riche de pluralité ; une sororité active dans une lutte anticispatriarcale et anticapitaliste. Nous pensons que la sororité est l’affaire de tou·te·s celleux qui souffrent des oppressions des hommes cisgenres.

 

[1] Le male gaze, qui peut se traduire par « regard masculin » est un concept que l’on doit à Laura Muvley, une critique de cinéma américaine. Ce concept traduire le regard érotisant, réifiant voire rabaissant que les hommes cisgenres portent notamment sur les femmes et les personnes trans. [On entend par « cisgenre » : personne dont le genre est en adéquation avec le genre d’ assignation à la naissance, toujours attribué en fonction des organes reproducteurs.]

[2] Historiquement, le terme queer stigmatise et insulte les personnes marginalisées, non hétérosexuelles et / ou non cisgenres. C’est un concept que se sont par la suite réapproprié des militant ·e·s trans et / ou non hétérosexuel·le·s.

[3] Nous entendons par safe : sécurisant, sécurisé. Exempt de personnes sexistes, transphobes, homophobes, validistes, misogynes, classistes, racistes, etc. Exempt également d’agresseur·euse·s sexuel·le·s, de personnes prônant la culture du viol et toute forme d’accusation des victimes, de négations des violences, d’oppressions et de discriminations.

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